Construire des immeubles à appartements à la chaussée d’Enghien… ou Comment lancer une urbanisation dense de ce paysage rural en sortie de ville ?

Depuis le 26 juin, une enquête publique est en cours à la chaussée d’Enghien, en sortie nord de la ville de Soignies. Les panneaux jaunes installés le long de la piste cyclable annoncent le placement « de 3 microstations d’épuration » … et à la ligne suivante la construction « de 14 appartements en 3 immeubles et un parc de stationnement de 21 véhicules ». Pour comprendre les enjeux autour de ce projet, il est utile de revenir en 2021…

Genèse du projet

A l’hiver 2021, un promoteur immobilier de Binche dépose une demande de permis d’urbanisation pour 5 maisons ; il s’agira en fait d’une double demande de 2×5 maisons, soit 10 habitations au total. Présentée sous la forme de maisons de rangées, cette barre de logements bouche le paysage sur 73 m. Le Collège Communal n’octroiera pas ce permis en raison de la petitesse des logements (moins de 7,5m de façade en moyenne), dissimulée par des carports anarchiques.

Dans sa décision le Collège énoncera par ailleurs ceci : « Considérant que nous nous trouvons face à l’opportunité de voir se développer un projet qui profite d’une situation stratégique. D’un projet qui va donner l’impulsion à l’urbanisation de ce quartier encore vierge de construction ; Qu’il convient de retravailler le projet de manière à offrir la qualité souhaitée par la ville de Soignies »

Peu avant, la décision expose également avec les mots suivants : « Les parcelles étudiées ont la particularité de non seulement se trouver en périphérie du centre urbain et en entrée de ville, mais encore de se trouver face à un ensemble de parcelles non construites (de l’autre côté de la chaussée d’Enghien), ces parcelles elles-mêmes délimitées à l’arrière par la ZACC n°1 située entre la chaussée d’Enghien et la chaussée de Lessines ».

Contexte urbanistique

Pour comprendre les choses de façon plus globale, il faut remonter un peu plus loin encore, en 1987. Cette année-là, les autorités compétentes valident le plan de secteur de La Louvière-Soignies.

Extrait du plan de secteur de Soignies (Géoportail de la Wallonie)

A l’époque le contournement nord de Soignies (N57) est censé passer plus au sud. La zone d’habitat (en rouge) va alors être développée tout au long des deux chaussées jusqu’à cet axe. Le chemin de Biamont sera catégorisé en aire d’habitat à caractère rural (rayures rouges et blanches), et l’espace entre les deux chaussées en ZACC. Une ZACC est une Zone d’Aménagement Communal Concertée ; autrement dit, c’est une zone en attente pour laquelle une fonction sera définie le jour où les autorités décident de l’activer. On peut y retrouver des activités économiques, une zone de loisir,… ou du logement, à l’instar de la ZACC du chemin des Aulnées (près du nouveau Delhaize des Archers). Le reste est laissé en terrain agricole, et en 2004, le passage de la N57 va être modifiée pour passer plus au nord, mais sa trace persistera dans la délimitation des aires définies.

En 2018, la commune de Soignies va se doter d’un autre nouvel outil : un Guide Communal d’Urbanisme. Ce document, tout en restant cohérent avec le plan de secteur de 1987 définit davantage les options urbanistiques pour le territoire communal.

Extrait du Règlement communal d’Urbanisme de Soignies – carte des aires paysagères Nord (SPW)

Ce plan présente plusieurs informations complémentaires :

  • Jusqu’à la gendarmerie, on se retrouve en aire d’habitat urbain dense,
  • Les chaussées d’Enghien et de Lessines, ainsi que le chemin de Biamont se trouvent en aire d’habitat urbain à moyenne densité,
  • La ZACC est classée en priorité 1 (alors que celles de la Guelenne ou des villages sont placées en priorité 2 ou 3), ce qui implique qu’elle est favorite pour l’urbanisation,
  • Le plan définit par ailleurs les ouvertures paysagères et les points de vue de qualité.

Le guide communal d’urbanisme invite pour la zone orange à « contribuer à la densification de l’habitat par la construction de petits immeubles à appartements implantés dans la continuité du tissu existant ». Et le tissu existant, il est bien présent en cet endroit, avec plusieurs lotissements des années 70-80 presque intégralement bâtis.

Comment le projet justifie-t-il des immeubles dans un secteur qui n’en compte aucun ?

Au regard du contexte bâti, comment comprendre la construction d’un immeuble de 3 niveaux avec un vaste parking souterrain accessible via un ascenseur à voitures, continu sur 84 m, alors que les habitations voisines sont aérées, avec des hauteurs sous corniches strictement limitées et des reculs sur les mitoyennetés voisines ? La justification de cette forme de construction se fait par le concept, pas si nouveau, de la reconstruction de la ville sur la ville.

La reconstruction de la ville sur la ville permet de justifier de se détacher des caractéristiques bâties existantes au prétexte que ces maisons 4 façades unifamiliales seront un jour démolies et reconstruites, donnant alors un nouveau visage au quartier.

Reconstruire sur la ville : le concept poussé à son paroxysme à La Panne (Google Street View)

Le concept même de reconstruction de la ville sur la ville pour justifier des ruptures de gabarit ne tient que sur papier. Il est la cause des pires erreurs urbanistiques commises depuis la côte jusqu’à la capitale, en se retrouvant par chez nous également. Cette reconstruction n’est que rarement intégrale, et l’argumenter ainsi sert surtout à faire valoir des intérêts économiques et immobiliers au dépend de la qualité des cadres de vie.

Pourquoi se positionner contre ce projet ?

Outre ce projet, les documents disponibles au Service Environnement de la Ville de Soignies présentent un plan plus large avec le même immeuble de l’autre côté de la chaussée, au milieu des champs. La forme du bâtiment y est déjà aboutie sur des terrains qui ont été vendus il y a plusieurs années. Ce dossier annonce donc le genre de projets à venir pour l’ensemble de ce côté de Soignies. La décision d’avril 2021 ne disait-elle pas : « un projet qui va donner l’impulsion à l’urbanisation de ce quartier encore vierge de construction ».

En amont de la chaussée, 8 terrains sont par ailleurs encore à bâtir, avec des projets en cours de conception. La ZACC se retrouve en priorité 1 dans les documents de l’administration communale. Une réunion du printemps dernier aurait mis son activation en pause… pour combien de temps ? Et si tel est le cas, pourquoi permettre une urbanisation aussi dense et déséquilibrée, dans l’incertitude de retrouver le reste du quartier bâti ? Les terres de la ZACC sont d’une grande qualité agricole et plusieurs instances régionales travaillent à stopper l’urbanisation des terres fertiles à moyen terme ; aussi, s’il est sûr que les terrains en rouge au plan de secteur sont bâtissables, ça n’est pas le cas pour la ZACC.

Au détour d’une phrase – le projet ne permettant pas de se retrouver connecté à l’égout, les eaux usées seront renvoyées vers le fossé après passage par les microstations d’épuration – le promoteur cite : « Avant les microstations d’épuration, des chambres de visites by-passables seront placées et permettront un raccordement ultérieur au réseau d’égouttage public futur ».

Un tel réseau d’égouttage ne sera mis en œuvre qu’à la condition d’un développement immobilier majeur de cette zone. Ce projet est donc bel et bien le début d’une urbanisation qui est annoncée limpidement. Y exiger une qualité architecturale plus cohérente avec le bâti et le paysage existants permettra d’éviter un développement du reste du quartier sous cette forme disproportionnée. Si le projet est réalisé en l’état, la jurisprudence sera du côté des investisseurs, et non des riverains, pour près de dix hectares encore à urbaniser.

L’ENQUÊTE PUBLIQUE SE TERMINERA  LE 23 AOÛT À 11H  (JUSTE AVANT LA FIN DES CONGÉS SCOLAIRES).

DANS UN SECOND ARTICLE, NOUS VOUS PRÉSENTERONS CE QU’IL EST POSSIBLE DE RECLAMER, ET COMMENT RÉAGIR.

Laisser un commentaire

Fermer le menu